Interview de Julie Mayer & William Renaut

Julie Mayer - Mécénat
© photos : David Bormans
William Renaut - Mécénat

Julie Mayer et William Renaut proposent aux acteurs du bien commun des accompagnements et des formations autour du mécénat, des modèles économiques des structures de l’ESS et de la communication.

Ils sont cofondateurs de Mécénat&co. Julie Mayer, est récemment sortie de la coopérative et William Renaut, est entrepreneur salarié chez GrandsEnsemble.

Propos recueillis par Véronique Estrade, rédactrice web, entrepreneure salariée chez GrandsEnsemble.

—Julie, quel est ton parcours avant l’aventure GrandsEnsemble, puis Mécénat&Co ?

J’ai toujours évolué entre livre et théâtre. J’ai d’abord travaillé à l’Institut français de New York, à cheval sur la programmation d’un festival et l’édition d’un livre. De retour en France, je suis devenue chargée de mécénat pour la comédie de Picardie à Amiens. Et, après 5 ans, j’ai eu l’opportunité de changer pour revenir au monde du livre. J’ai donc succombé aux sirènes de la nouveauté et d’horaires plus compatibles avec ma vie de maman, et j’ai intégré l’agence régionale du livre et de la lecture des Hauts-de-France. En tant que chargée de mission, je m’occupais du développement économique des libraires et des éditeurs constitués en association. J’y ai travaillé deux ans et demi avant de ressentir l’appel de l’entrepreneuriat en 2016.

—Pourquoi avoir fait le choix de créer ton activité Julie ? Chez GrandsEnsemble en particulier ?

J’ai été débauchée par les compagnies ! Je me posais pas mal de questions sur mon développement professionnel, parce que j’atteignais quelques limites dans mon emploi. En parallèle, j’avais des sollicitations de compagnies de théâtre qui souhaitaient poursuivre le travail autour de la recherche de financements et du mécénat.

Au début, je cherchais juste un système de facturation. La première fois que j’ai rencontré un conseiller de chez GrandsEnsemble, c’était dans les locaux de la machinerie, un fablab d’Amiens. J’avais aussi la volonté de rencontrer des gens comme moi.Très vite, je suis entrée dans la coopérative d’activité et d’emploi (CAE) en CAPE (Contrat d’appui au projet d’entreprise). Au bout de 6 mois, j’ai constaté que la bascule pouvait s’opérer, entre mon emploi et la rémunération que je pouvais dégager par mon activité de consultante. J’y exprimais des choses que je n’avais jamais manifestées jusque-là et ça me plaisait beaucoup. J’ai été piquée assez vite à l’entrepreneuriat et, vis-à-vis de ma vie personnelle, c’était le bon moment. Mon deuxième fils avait moins d’un an et encore peu de besoins financiers, c’était encore récupérable si jamais j’échouais.

Avec les possibilités du CAPE, de capitaliser avec la trésorerie pour en dégager une rémunération par la suite, de la rupture conventionnelle et du chômage, GrandsEnsemble représentait pour moi cette possibilité de tenter, d’essayer et de le faire sans prise de risques. Sans la CAE, je n’aurais pas tout plaqué pour monter une boîte.

—Et toi, William, l’avant GrandsEnsemble ?

Je suis diplômé de communication depuis 10 ans. Comme Julie, j’ai orienté ma première partie de carrière dans le domaine de la culture, particulièrement sur les questions du mécénat. J’y ai fait tous mes stages et axé tous mes travaux de groupe sur le sujet. À 22 ans, je m’imaginais très bien travailler dans une grande institution culturelle sur ces fonctions. Pour mener à bien ce plan, je suis passé par des agences, en institutions, en fondations d’entreprise, que ce soit en France ou à l’étranger. Jusqu’à intégrer la réunion des musées nationaux Grand Palais (RMN) en tant que chargé de mécénat. C’était en tout point ce que je voulais faire : une grosse institution avec de superbes expos. J’ai notamment travaillé sur Monumenta ou Picasso.mania, des énormes projets avec de gros mécènes. J’ai 27 ans quand je fais un burn-out : trop de travail, de pression, et un contexte général démoralisant (attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan).

— Comment parviens-tu à rebondir professionnellement et te lancer à ton compte ?

Dans tout ça, je rencontre ma future femme et, en mai 2016, je quitte la RMN et Paris, pour m’installer avec elle, à Lille. Elle habite à côté des locaux de GrandsEnsemble, à la Grappe, rue Gambetta à l’époque. La volonté de me lancer en freelance était déjà là, mais sans forcément connaître les différents formats. Je me rappelle insister auprès de la CAE pour obtenir un rendez-vous avant l’été. Je signe mon CAPE en juin 2016. Et puis, mon activité prend assez vite. J’ai mon premier client important et récurrent dès le mois de février 2017. Je signe mon CDI en septembre 2017.

— Comment vous rencontrez-vous tous les deux ?

Julie : Nous avions des parcours assez parallèles et similaires au sein de GrandsEnsemble : par exemple, j’ai signé mon CAPE un mois avant William. Mais on ne se connaissait pas du tout avant 2020 : nous sommes alors tous deux candidats pour intégrer le conseil d’administration de la CAE.

Cette année-là, en plus d’être consultante, je suis devenue formatrice. J’ai développé un projet de formation en ligne pour lequel j’ai reçu une jolie subvention du conseil régional. Dans les faits, avec ce projet d’envergure, je crée une boîte dans la boîte et je ne peux pas le faire seule. J’avais identifié William comme « Monsieur Mécénat » et je me disais que c’était peut-être la bonne personne avec laquelle travailler. Notre première rencontre part d’un mail du type : « Bonjour William, est-ce que ça te dit de me vendre de la prestation pour bâtir avec moi un programme de formation ? ». C’était en mars 2020, en plein confinement !

— Un coup de foudre professionnel en somme ?

William : Ce qui a bien marché c’est qu’il y a eu pas mal d’émulation entre nous. Julie arrive avec ce projet de formation et moi rapidement avec un autre. Oui, ça a marché ensemble. Si ça n’avait pas été le cas, on en serait resté là.

Julie : Il y a aussi cette complicité et cette confiance qui est née au sein du conseil d’administration de GrandsEnsemble. Nous connaissons la fiabilité de l’un et de l’autre avec les crises traversées ensemble dans ce cadre. C’est aussi dans la difficulté qu’on apprend à se connaître. Nous savons que si nous en rencontrons dans notre entreprise commune, l’autre répondra présent.

William : Et puis, nous en étions au même point dans nos vies : nous avions tous les deux des enfants, tous les deux des activités qui fonctionnaient bien avec un peu le sentiment de plafonner.

— Comment évoluez-vous professionnellement ensemble à cette étape ?

William : Nous nous demandons : « Est-ce qu’on stagne ou on trouve l’occasion de pousser plus loin ? ». Comme les journées ne font que 24 h, la solution évidente c’est d’acheter du temps et donc d’ajouter quelqu’un à l’équipe. Nous recrutons Clara pour son stage de fin d’études. C’est à ce moment-là que nous apprenons à travailler ensemble Julie et moi.

Julie : C’est Clara qui fait ce lien entre nous au début.

William : Oui, nous apprenons à être managers, à travailler sur des projets qui sont plus gros que nous et à déléguer aussi. Il y a vraiment cette notion d’enrichissement de la pratique professionnelle, très bien accompagnés par les équipes de GrandsEnsemble.

— Justement, comment la CAE vous accompagne-t-elle dans cette phase de développement ?

Julie : Alors même que la scop n’est pas dans sa meilleure période, il y a comme une cellule qui se constitue autour de nous. Les conseillers mettent en place des sessions d’ice breaking avec des questions très concrètes à se poser ensemble, afin d’harmoniser nos prestations. Par exemple : « Comment vous voyez-vous dans 5 ans ? Que recherchez-vous au sein de votre association ? Quel salaire ? La facturation : à l’heure, à la journée, au forfait ? ». Ils ont joué le rôle de médiateur pour nous permettre de nous dire les choses importantes et que nous n’aurions pas forcément réussi à poser par nous-mêmes.

— Être membres du CA vous a-t-il appris sur la posture d’un chef d’entreprise ?

William : En 2021, c’était un rôle très difficile à tenir pour différentes raisons.

A posteriori, clairement, il y a eu une dimension d’ « Educ pop » autour du fonctionnement d’une entreprise : comment gérer une entreprise pour le bien de ses sociétaires ? Puisque toutes les décisions prises ont été avalisées en AG. Et aujourd’hui, cette expérience nous aide à prendre des décisions pour l’entreprise et non pour nous. Par exemple, pour un recrutement, nous ne nous demandons pas : « est-ce la personne qu’il me faut à moi, William ou Julie ? », mais plutôt : « est-ce la bonne personne pour Mécénat&Co ? ».

La question également du « comment faire fonctionner un collectif ? » était très inspirante et nous aide dans notre pratique au quotidien. Cela nous encourage à nous faire reconnaître de l’Économie sociale et solidaire (ESS), pour un passage en coopérative à moyen terme.

— Y a-t-il eu des obstacles dans la création de votre activité commune ?

Julie : Comme nous venons tous les deux de GrandsEnsemble, nous avions le même état d’esprit. Le principal obstacle selon moi c’est le confinement. La première fois qu’on se voit physiquement avec William, c’est au conseil d’administration qui se tient en fin d’année ! On a dû recruter et travailler à distance. Et, à la fois, c’est de cette contrainte qu’est naît Mécénat & Co. Cet obstacle nous a donné une agilité dans notre manière de travailler. C’est devenu une force !

En créant notre entreprise commune, nos métiers ont changé aussi. Personnellement, je ne m’attendais pas à autant d’à-côtés : créer l’image de marque, la charte graphique, les couleurs, les photos. Bref, la communication en général, qui prend un temps fou, et qui est peut-être plus évidente pour William. Reprendre en main tout ce qui était géré par la CAE jusque-là : établir un contrat de travail, trouver un comptable, la responsabilité civile, contracter les assurances, mais lesquelles, la prévoyance, pourquoi n’est-elle pas sur la fiche de paie ? Etc. C’est tellement compliqué, et ce n’est d’ailleurs pas normal que ça le soit autant !

J’ai l’impression de gravir des montagnes, et une fois arrivée sur un plateau, rencontrer une autre montagne. J’ai donc appris à me préparer à la montagne d’après à chaque plateau.

— Pourquoi quitter GrandsEnsemble ?

Julie : GrandsEnsemble m’a permis de prendre confiance en mon potentiel. En quittant la coopérative, je suis dans une posture de remerciements et de gratitude, car elle m’a vraiment appris à grandir. Elle m’a donné envie de dépasser son cocon. Je me suis personnellement sentie prête à m’exposer à un expert-comptable, au monde de l’entreprise et de maîtriser le process de A à Z. Toute l’équipe a tellement réussi son job : faire de moi une cheffe d’entreprise. C’est une super réussite !

William : Quitter GrandsEnsemble n’est pas tant une question de valeurs, mais d’outil à un instant T. D’ailleurs, le siège de Mécénat&Co est au Bazaar Saint So à Lille comme GrandsEnsemble. Nous sommes toujours à touche-touche avec la scop et nous n’hésiterons pas à donner un coup de main si nous le pouvons. La coopérative fera toujours partie de notre histoire.

— Un projet ou une belle histoire à nous partager en tant qu’ES ?

Julie : La subvention de la région pour le développement de la formation en blended learning. Je n’aurais jamais pu l’obtenir sans GrandsEnsemble, ou en tant qu’entrepreneur individuel, pour des raisons fiscales et juridiques. Il s’agissait de délivrer le B-A-BA du mécénat à un public en recherche d’emploi, aux intermittents et associations culturelles. Sans l’équipe de GrandsEnsemble, je ne pouvais pas développer ce projet énorme qui a pris plus de la moitié de mon chiffre d’affaires de l’année.J’avais autour de moi une grande chaîne qui s’est créée : un poolde conseillères, le service juridique, les personnes au paiement.

Et puis la belle histoire c’est la rencontre avec William qui se fait uniquement parce que nous sommes dans la coopérative, uniquement parce qu’on partage les mêmes valeurs et parce que nous avons été formés à cet esprit coopératif.

— Et maintenant, quels sont vos projets ?

William : On mesure le futur à l’aune de 3 éléments :

  1. Aujourd’hui, nous accompagnons une vingtaine d’associations par an. Nous avons la volonté de faire grandir ce nombre, tout en gardant notre exigence de qualité, de proximité et d’écoute. Notre vocation première c’est de bien accompagner les structures avec lesquelles nous travaillons.
  2. Nous avons aussi l’aspiration de bien faire grandir nos équipes. Leur proposer des systèmes de formation, d’évolution attractifs et qui les fassent progresser. C’est important pour nous : toujours apprendre et ne pas stagner.
  3. Devenir une équipe de 5 à 6 personnes réunies autour d’un format de lucrativité limitée : une scop ou dans l’ESS. Nous versons 1 % de notre chiffre d’affaires au « 1 % pour la planète » et nous allons engager les mêmes montants sur l’accompagnement à titre gracieux en partenariat avec la chambre régionale de l’ESS. Nous souhaitons contribuer à l’écosystème et mettre encore plus de collectif dans notre activité.

D’ailleurs, notre économie devrait tourner autour de cette idée. La coopérative permet de cocher toutes les cases de la pyramide de Maslow pour tous et toutes. Alors que l’économie classique, elle, coche toutes les cases, mais pas pour tout le monde et pas dans tous les domaines. L’ESS tend vers cet idéal et c’est ce que nous voulons aussi dans notre entreprise.

— Des conseils à donner aux entrepreneurs qui se lancent ?

Julie : Passez outre le fantasme autour du chef d’entreprise « qui monte sa boîte », qui a 3 téléphones, 6 adresses mail, qui est débordé et envoie des messages à 23h. Se dire que ce n’est pas grave si ce n’est pas comme ça au début. Ce n’est d’ailleurs pas forcément souhaitable que ça le soit. L’activité d’entrepreneur c’est du temps et de la persistance, c’est long et ce n’est pas flamboyant. Ayez confiance dans le temps. L’entrepreneuriat, ça réussit toujours, la question c’est de savoir combien de temps se donner avant que ça marche : 6 mois, 1 an, 2 ans ? GrandsEnsemble permet de se poser les questions dans ce sens-là.

Le partage d’expérience est très important et enrichissant aussi. Au début, il y a des jours où on ne fait rien, on attend que le téléphone sonne, malgré nos plaquettes déposées partout, la mise à jour de notre site internet et nos articles LinkedIn postés. Grâce au bureau GrandsEnsemble d’Amiens, nous nous sommes créé un petit groupe avec d’autres entrepreneures. Ensemble, nous étions vraies, nous déposions un peu les armes. À titre personnel, j’ai mis 6 à 9 mois à entrevoir ma première rémunération. D’avoir ces moments où nous pouvions nous dire entre nous : «  c’est normal, ce n’est pas grave et ça va le faire », c’était super.

Au-delà de partager l’outil GrandsEnsemble, nous partagions nos interrogations de femmes entrepreneures, sur notre posture de cheffe d’entreprise, sur nos prix, etc. Ce soutien, je ne l’aurais pas connu dans un autre type de structure.

Mécénat&Co